Pendant ce temps, aux abords boisés

Seul dans la forêt, Eska profitait d'un moment de répit bien mérité. Adossé à un arbre centenaire, témoin de mille épopées, il laissa la douce brise le bercer et l'herbe lui chatouiller les pieds, pendant que ses amis insectes venaient le taquiner, attirés par son aura printanière. Depuis la mort de Veshmahal, la forêt semblait reprendre du mieux, bien que des traces de corruption restaient visibles à l'occasion.

Eska porta son regard sur la tête de celui qui avait ruiné sa vie, et il eut un petit sourire, satisfait d'entrevoir un avenir meilleur pour tous les habitants de la forêt. Du sang noirâtre et un manteau de pestilence suintaient encore par endroits des orifices béants du Pustule Humain, et Eska remercia pour la première fois les dieux d'avoir perdu son odorat. Bientôt, il partirait pour le Ténéra avec Xan et Kazal pour s'assurer que la tête soit définitivement détruite, et qu'aucun apprenti sorcier ou démon amateur ne viendrait patauger dans la nécromancie et les arts noirs pour faire renaître le Prince déchu.

Eska réfléchit un instant à la possibilité de recouvrir la tête de tous les poisons naturels qu'il connaissait, juste par précaution. Il rejeta toutefois cette idée, car il n'en connaissait pas encore assez sur les effets secondaires des plantes, champignons et grenouilles venimeuses de la région. Comment Iriem arrivait à combiner des essences vitales pour en décupler les effets laissait toujours Eska aussi perplexe. Pourtant, Eska était certain que son affinité pour la Nature pourrait l'aider à trouver une plante qui empêcherait la nécromancie de fonctionner... Il faudrait qu'il en parle avec Meelah, ou mieux, avec sa Mère. Peut-être connaîtrait-elle des éléments aux propriétés requises.

Entendant un bruit suspect dans la forêt, Eska mis la main sur la garde de ses épées. Ces dernières avaient été plutôt malmenées durant la Grande Bataille du Portail. Juste à cette pensée, le bras disloqué d'Eska eut un petit spasme, malgré les herbes guérisseuses qui le protégeaient. Eska rêva un instant de reforger ses deux épées. Selon les dires de Louloup, dans le Nord, un Arbre Mystique poussait, surnommé le Grand Bois, dont le cœur était plus rigide que l'acier. Une seule de ses racines permettrait à Eska de tailler une épée de bois légendaire, qui n'aurait aucune rivale parmi les épées conventionnelles. Il pourrait être amusant de partir dans cette quête, surtout si cela lui permettait d'en apprendre davantage sur le peuple Lakota, les sauvageons au langage si particulier, qu'Eska et le barde avaient commencé à décrypter. Parallèlement, Eska se demanda comment reforger sa seconde lame, celle de métal. Nul doute que son père pourrait lui montrer la voie de la Chevalerie, mais Eska n'avait reçu aucune nouvelle de lui depuis longtemps. Tel un nuage, Rain Knight va et vient au petit bonheur la chance, soufflé par d'obscurs desseins. Un souvenir éphémère traversa l'esprit d'Eska. Xan avait parlé de créer un convoi marchand lors de son voyage au Ténéra. Ce pourrait être une occasion de reforger son épée auprès d'un grand maître, virtuose des arts de la terre. D'ailleurs, d'après Xan, un nouveau forgeron exceptionnel s'était fait remarquer dans un village voisin, et offrait ses services à prix modique. Une autre voie potentielle s'ouvrait devant lui...    

Le bruit reprit, et Eska s'alarma légèrement. Signe de son éducation Animalis, ses oreilles semblèrent se relever de façon à peine perceptible. Heureusement, ce n'était qu'Aèle. Eska poussa un petit soupir de soulagement et accueillit son compagnon ailé. Il lui lissa amicalement les plumes et lui donna un morceau de pain. Aèle avertit Eska que de mystérieux étrangers étaient arrivés à l'auberge, apportant leur lot d'inquiétants cliquetis métalliques. Probablement les Altains. Eska se félicita encore d'être resté temporairement à l'écart de l'auberge, puis remercia Aèle pour son courage. Eska avait bien dressé ses oiseaux, mais il avait eut beaucoup plus de difficultés avec les écureuils et les rongeurs. Dans son village natal, Eska avait une affinité naturelle pour toutes les créatures de la forêt. En y repensant, ceci s'expliquait désormais à la lumière de sa nature semi-divine. Malgré tout, Eska s'ennuyait de ses conversations avec les petits êtres charmants des boisés. L'accent local était très difficile à percer, mais Eska s'y attelait toujours avec grande conviction. Il espérait pouvoir un jour communiquer avec tous ses amis.

Eska mâcha à son tour un petit morceau de pain aux épices, mais il fut à nouveau déçu de la perte des saveurs qui l'accablait. Il repensa à nouveau aux Altains. Allait-il véritablement devenir un Golem? Si oui, Eska espérait au moins devenir un Golem mi-bois mi-métal, afin de préserver son serment. Mais non, il fallait chasser ces pensées; il ne devait pas se résigner! Nul doute que ses cousins néphalems royaux lui apporteraient des informations sur un remède ou une façon de retarder la transformation. Il devait exister un moyen! Eska repensa à Éola, et à son voyage vers ses cousins pour en apprendre davantage. Dans l'attente de son retour, Eska lui souhaita un bon voyage et des vents favorables, tout en scrutant l'horizon.  

Cent lieux au-delà, un oiseau au plumage noir volait bien haut, les ailes détendues, le regard déterminé, une lettre à la patte.